La photographie ci-dessus est de Nicolas Kovarik / MaxPPP.
Elle est publiée sur le site web du journal La Croix (classement France/Justice) dans un article de Marie Boëton du 06/07/2018 sous le titre "Les sages consacrent le principe de fraternité".
L'actualité, pour moi, en ce mois de juillet, restera d'abord marquée par un évènement majeur :
Pour la première fois, dans une décision du vendredi 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle du « principe de fraternité ». Les gardiens de la loi suprême ont donné une force juridique à cette devise républicaine et considéré qu’il en découlait « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ».
J'ai une pensée émue pour toutes celles et ceux qui se sont battus, tous les collectifs qui se sont spontanément créés et organisés, pour accueillir avec humanité les migrants dans notre pays en leur apportant l'aide indispensable à leur survie, en dépit des menaces judiciaires que le pouvoir politique a tenté de mettre en œuvre pour les en dissuader (cf. le sinistrement fameux "délit de solidarité").
Pensée émue également pour les organisateurs (L'Auberge des migrants) et tous les participants de la grande Marche solidaire pour les migrant(e)s qui a traversé la France de Vintimille à Calais et Londres du 30 avril au 7 juillet derniers (malgré les persécutions policières et judiciaires à Calais, là encore orchestrées par notre triste pouvoir politique).
Je ne boude pas mon plaisir. Eric Ciotti doit être vert de rage en bouffant son chapeau, et rien que ça, franchement, ça vaut bien une bonne bière !
Écoutons donc le communiqué de Cedric Herrou publié sur Facebook le 8 juillet dernier :
COMMUNIQUÉ FRATERNITÉ
Le 6 juillet 2018 restera une date historique. Grâce à notre combat juridique, politique et humanitaire, nous avons persuadé le Conseil Constitutionnel d’intégrer le principe de Fraternité dans la constitution. Pour la première fois dans l’histoire républicaine ce principe qui figure dans la devise de la République impose aux pouvoirs publics de respecter la liberté de chacun d’aider, à titre humanitaire, toute personne y compris des étrangers en situation irrégulière. Jamais plus la solidarité ne pourra être un délit.
Cependant, seule l’aide à l’entrée de personnes en situation irrégulière sur le territoire reste condamnable.
Je pense très fortement que le Conseil Constitutionnel a été juste dans sa limite. Notre combat ne doit pas se limiter à défendre les aidants mais à défendre en priorité les personnes directement concernées, les migrants eux-mêmes. Pourquoi devrions-nous avoir le droit, nous, Français, de passer des personnes migrantes à la frontière alors qu’elles-mêmes sont empêchées de le faire seules ? Il faut nous battre, non pas pour avoir le droit de faire passer la frontière à des étrangers, mais pour que les étrangers puissent le faire seuls, en toute légalité.
Je rappelle que les contrôles à la frontière ont été rétablis afin de lutter contre le terrorisme et non pour entraver la libre circulation des personnes. Nous devons défendre la libre circulation dans l’espace Schengen et lutter contre l’entrave de la demande d’asile à la frontière. L’État français détourne des procédures à des fins politico-démagogiques, obligeant des personnes à entrer dans la clandestinité. Ne nous trompons pas de combat.
Cependant, je continuerai à répondre de mes actes face à la justice si je dois, pour des raisons humanitaires, faire passer la frontière à une personne en situation irrégulière. La proportionnalité des délits doit être respectée par la justice. Non, je ne laisserai pas un enfant dormir à la rue sans aucune prise en charge parce qu’il est interdit de passer une frontière. Le délaissement de mineur isolé et la non-assistance à personne en danger doit prévaloir face à l’entrée sur le territoire d’étrangers en situation irrégulière.
Cédric Herrou, président de DTC - Défends ta citoyenneté
Mais les scandales et l'horreur continuent cependant, tant au niveau européen qu'au niveau français : Rappelons-nous la lamentable odyssée récente de l'Aquarius (le bateau de l'association SOS Méditerranée qui s'est définit pour mission le sauvetage en mer des migrants en détresse). Ce bateau arrivé à la fin de sa campagne, et les 629 migrants qu'il avait recueilli à son bord en les sauvant de la noyade, se sont vu refuser l'accès aux ports italiens, mais aussi français ! Cette triste aventure s'est heureusement terminée le 17 juin dernier dans le port de Valence en Espagne, où les migrants ont reçu un accueil exemplaire.
On le voit, les français(es), et les autres européen(nes) pour qui le sens commun, l’humanité, la fraternité, la solidarité ne sont pas des mots vains et des concepts creux et démodés, ont encore du souci à se faire et des batailles à mener pour lutter contre l'énorme lame de fond de régression morale qui secoue l'Europe, pour ne pas dire l'ensemble des pays dits "développés".
Mais bon, c'est la Coupe du Monde de foot, et au moment où j'écris ces lignes, l'équipe de France vient de l'emporter contre la Belgique et accède donc ainsi à la finale, déclenchant naturellement un immense élan populaire. Je ne bouderai pas mon plaisir de constater cette grande et belle liesse, et donc je ne me joindrai pas aux voix de celles et ceux qui s'énervent en constatant la capacité du peuple de France à participer ainsi spontanément et massivement à un grand moment d'union nationale, alors que ce même peuple révèle bien des difficultés à réagir collectivement aux attaques économiques et sociales (y compris sur le plan sanitaire) dont il est la cible de la part du pouvoir politique à la solde du capitalisme français (et pas que ...). Et ne parlons même pas des défis écologiques et climatique ! Mais il est vrai que cela pose question.
Peut-être une réponse, ou un début de réponse, dans ce texte de Gunther ANDERS, penseur, journaliste et essayiste allemand puis autrichien (1902 - 1992) :
[...]
Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.
L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.
Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.
En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.
L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels.
[...]
Günther ANDERS, "L’Obsolescence de l’homme", 1956
Dans cette pensée, qui me semble d'une grande pertinence et d'une grande actualité, il y a des passages plus aisément vérifiables que d'autres. Ainsi on ne peut (encore) prétendre sérieusement constater une réduction drastique de l'éducation. En revanche, le 3ème et 4ème paragraphes correspondent tellement à l'évolution de la société actuelle, avec ce culte collectif d'un jeunisme à 2 balles, de la mise en dérision de tout ce qui tend à quelque gravité (cf. l'expression galvaudée de "prise de tête"), de cette dictature du "fun way of life", imposée (entre autre) par la bobosphère, sans doute à travers et grâce aux efforts acharnés des faiseurs de mode, dont la médiasphère ... Et là on se demande "mais pour qui est-ce qu'ils rament ?"
Je vous parlerais bien également de l'analyse du sport en tant qu'outil de domination sociale, mais bon ... faut en garder pour plus tard.
En attendant, je vous propose de lire un précédent article sur le même sujet : Migrants, mes frères.
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