Lors de nos vacances d'été 2012, nous faisons une petite escale de trois jours dans cette belle région des Cévennes, sur la commune de Saint Étienne Vallée Française (Carte Géoportail), tout au sud de la Lozère.

Nous sommes hébergés en chambre d'hôtes, dans un accueil paysan des plus sympathiques et chaleureux. Bref, juste comme j'aime ! Bientôt, nos hôtes nous indiquent la présence de castors d’Europe (Castor fiber) dans le Gardon voisin.

Reconnaissance immédiate, évidemment ! A cette époque de l'année, le Gardon est à peu près à l'étiage. En cet endroit, le lit est assez large et la petite rivière se divise en deux bras séparés par un banc de graves. En un endroit précisément, l'un des deux bras passe dans un secteur assez fermé, par les arbres de la rive d'une part, mais aussi par ceux (moins grands toutefois) qui ont poussé en cet endroit du banc. Évidemment, c'est dans ce site bien protégé que nos amis castors ont choisi de s'installer. En journée, pas question de les apercevoir (leurs mœurs sont nocturnes, ils sont principalement actif en début et fin de nuit), mais leur présence est toutefois trahie par la présence d'un barrage de branchages sur le bras, juste en aval de ce secteur bien couvert, ainsi que par les arbres et branches coupés à proximité.

Décision prise de revenir en affut le lendemain matin à l'aube ! Malheureusement, le lendemain matin en question, une grosse flemme se fait sentir, et le lâche photographe amateur (ceux qui sont fidèles lecteurs de ce blog savent déjà que c'est un blaireau ...) restera bien au chaud sous les draps ! Au repas du soir suivant, il doit affronter, et c'est bien normal, quelques menus quolibets de nos hôtes et des autres hébergés. Pas question de laisser passer une nouvelle chance ! Donc au troisième (et dernier) jour, lever et arrivée sur site avant l'aube.

Vaguement planqué derrière un peu de végétation juste à côté du barrage (je ne dispose malheureusement pas ici de ma tente affut), mais dans la plus totale discrétion, j’attends que la lumière soit suffisante pour envisager des photos. Dans le calme absolu de cette aube, j’entends seulement le bruit continu de l'eau, et par moments, des bruits d'activités aquatiques. Mais impossible d'apercevoir quelque chose sous les frondaisons. Petit à petit, j'arrive à distinguer les reflets des ondes provoquées par ces activités, en amont tout au fond du couvert. Petit à petit, un peu de lumière venant, je vois les remous s'approcher : un castor est là (je le devine plus que je ne le vois), puis il s'éloigne ... Émotion ! Le manège se répète deux ou trois fois tandis que la lumière augmentant peu à peu, je peux enfin envisager de photographier, en très haute sensibilité évidemment. Je distingue maintenant bien nos amis castors, à chacun de leurs passages. Le bruit du déclenchement semble un peu les interloquer, mais pas outre mesure toutefois.

Je vous laisse profiter des photos, en lumière naturelle, dans lesquelles j'ai tenté de conserver l'ambiance de cette belle aube, tant chargée pour moi en émotions.

Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012
Castor d’Europe (Castor fiber) - Cévennes - 2012

Ce sera là leur dernier passage. M'ont-t-il maintenant identifié, avec le jour se levant ? Toujours est-il que l'animal s'éloigne et que bientôt, je n'entendrai plus que le bruit régulier de l'eau qui coule.

Plus tard, en plein milieu de journée (pour ne pas risquer de déranger), un petit retour à proximité du site pour photographier quelques traces, dans l'environnement, de l'activité des castors.

  • Le barrage, édifié sur un petit seuil naturel du lit. Malins, ces castors ! (la zone couverte où évoluent les castors est en amont, c'est à dire à droite de la photo) :
Barrage de castors - Cévennes - 2012
  • Le même barrage, vu de l'aval :
Barrage de castors (vu de l'aval) - Cévennes - 2012
  • Le terrier ? Normalement, l'entrée devrait être sous la surface de l'eau, mais le niveau ayant bien baissé ...
Terrier de castors d'Europe - Cévennes - 2012
  • Jeunes arbres coupés (diamètre 4 à 6 cm) :
Jeunes arbres sectionnés par des castors - Cévennes - 2012
  • Traces de morsures :
Jeunes arbres sectionnés par des castors - Cévennes - 2012
  • Traces de morsures :
Jeunes arbres sectionnés par des castors - Cévennes - 2012
  • Alors, on ne finit pas le travail ?
Jeunes arbres sectionnés par des castors - Cévennes - 2012

Pour qui voudrait avoir des informations très complètes sur le castor d’Europe, je conseillerai le lien suivant sur l'excellente fiche du site de l'ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage).

Mais au fait, qu'est-ce que c'est que cette histoire de "Vallée Française" ?

Lorsque nous cherchions notre hébergement, ce nom de Saint Étienne Vallée Française avait éveillé ma curiosité. D'autant plus lorsque, en consultant la carte géographique (Voir carte Géoportail), je constatais que dans la même vallée, on trouvait également Sainte Croix Vallée Française et Moissac Vallée Française ! Cette fois c'en était trop, il fallait savoir l'origine de tout cela !

J'imaginais tout d'abord que la vallée avait été le lieux de hauts faits de la Résistance pendant la dernière guerre de 1939-1945 et l'occupation nazie. Des actes héroïques de la Résistance, il y en eut effectivement, mais ce n'est pas cela qui a donné son nom à la vallée et ses villages.

C'est dans le hameau de la Boissonnade, en visitant une petite église romane qui s'avéra être en fait un temple de l’Église Réformée, que nous eûmes la réponse.

Pour les amateurs d'Histoire (clin d’œil à l'ami Didier M., qui se reconnaitra) :

Temple de la Boissonnade

De Valfrancesque à Vallée Française, quand une petite église raconte l'Histoire

Histoire et légende sont souvent étroitement liées. Faut-il le regretter, surtout si la légende est à la fois belle et vraisemblable ? Il s'agit ici du preux Roland, neveu et pair de Charlemagne, brandissant avec succès sa fière Durandal dans les vallées cévenoles. Faut-il y croire ?

♦ Version Charles Martel

Le début des invasions arabes en pays franc se situe vers l'an 688 et dès le début du VIIIéme siècle, les Sarrasins s'établissent dans les Cévennes. En 732, Charles Martel les arrête à Poitiers et sur sa lancée, avec l'aide de Eudes, duc d'Aquitaine, il les poursuit à travers le Bas Languedoc.

Certains historiens prétendent qu'une grande victoire aurait été remportée en ce temps-là dans la vallée de Moissac (bataille de la Boissonnade) et que pour célébrer l'événement on aurait édifié près des lieux du combat et à la place d'une mosquée, une église appelée Notre Dame de la Victoire. Ce n'est nullement prouvé, cependant nous savons que Charles Martel et son allié, Eudes, entreprirent une campagne contre les Sarrasins en 735, Les chroniqueurs ne citent jamais les vallées cévenoles dans leurs récits mais racontent qu'en 737 eut lieu un affrontement en Ardèche et que l'armée franque s'empara d'Avignon. Pourquoi n'auraient-ils pas effectué aussi une incursion dans ces vallées ?

Cette première version concernant la construction de ce vieil édifice est la moins prisée des érudits du XIXème siècle, grands spécialistes en la matière. Ils préfèrent la suivante, plus romantique.

♦ Version Charlemagne et son "neveu" Roland

Le scénario est proche du précédent mais il se situe quelque quarante six ans après. Charlemagne, petit-fils de Charles Martel et fils de Pépin le Bref, est le maître et son "neveu", le preux Roland, le héros. Vingt deux ans avant son couronnement, Charlemagne décide d'intervenir en Espagne dans une querelle entre maures et espagnols, avec l'arrière-pensée d'étendre son royaume qu'il voit déjà transformé en empire. Son armée, passant par l'Auvergne, rencontre des implantations sarrasines qui ont résisté à toutes les campagnes antérieures. Une de celles-ci restait très florissante dans la vallée centrale des Cévennes. Le roi donne à son neveu Roland la mission de liquider ce nid "d'infidèles". Le combat principal va se dérouler dans la vallée de Moissac (bataille de la Boissonnade) et Roland sera victorieux. En mémoire de cette brillante victoire, Charlemagne fera édifier une chapelle qui portera le nom de Notre Dame de la Victoire. Finalement, le futur empereur entreprendra une nouvelle campagne et, le 15 août 778, elle se soldera par un échec et la mort héroïque, à Roncevaux, du chevalier Roland (qui, d'ailleurs, n'était pas parent avec le Roi, mais la légende le veut ainsi).

Cette histoire est sûrement proche de la réalité puisque l'on sait que Charlemagne alla guerroyer en Espagne à plusieurs reprises. La construction du monument - peut-être à la place d'une mosquée - daterait donc de l'époque carolingienne.

♦ Le Valfrancesque

On suppose que c'est pour honorer ces hauts faits qui se sont déroulés dans "la Sévenne" de l'époque que la vallée fut baptisée alors VaIfrancesque, la vallée des Francs ou vallée Franque, et non Vallée Française comme il est dit aujourd'hui (l'entité "France" n'existant pas encore).

Le vocable fut ajouté au nom de la chapelle qui se nomma donc Notre Dame de la Victoire de Valfrancesque. Il fut également attribué aux deux bourgades des environs, Sainte Croix et Saint Étienne. Quant aux lieux-dits, la légende attribue le nom de Fès-Roland au lieu supposé de la bataille de la Boissonnade puisque Roland y aurait participé. De même Bégon aurait été son lieutenant d'où le nom de Fès-Bégon à un autre endroit du champ de bataille.

♦ Du moyen âge ...

Au début du XVIIème siècle, l'église n'est plus utilisée car la majorité de la population de la vallée est protestante et la ruine du monument est en grande partie consommée. Les évêques de Mende ne laissent pourtant pas dans l'abandon Notre Dame de Valfrancesque. Le 5 mai 1686, quelques mois seulement après la Révocation de l'Edit de Nantes, l'évêque vient visiter l'église restaurée et utilisêe par de nombreux communiants et "nouveaux convertis", c'est à dire les protestants qui ont dû abjurer leur religion.

♦ ... à la révolte des Camisards,

Enfin, arrive la nuit du 9 novembre 1702. Le puissant monument est livré aux flammes d'un incendie allumé par les camisards. L'ossature quasi indestructible, construite en fraidonite (ou kersantite, ou granit noir) résiste parfaitement et l'édifice reste debout. Fin novembre 1703, les Dragons du Roi commandés par l'Intendant du Languedoc, Nicolas de Bâville, entreprennent le "grand brûlement des Cévennes" pour faire le vide autour des camisards. Notre Dame de Valfrancesque sera à nouveau incendiée. Pourtant, le 10 avril 1708, l'église, portant les stigmates des incendies successifs, reprend la célébration du culte catholique dans une paroisse majoritairement protestante de cœur.

♦ ... et à la Révolution.

Le bâtiment est en piteux état. Plusieurs curés s'attèlent à la tâche de restaurer le culte catholique et de réparer le monument. Mais la communauté protestante résiste à toutes les pressions et affiche tout au plus un catholicisme de façade. Le dernier prêtre qui exerça à Moissac, l'abbé Jean Buffier, fut nommé en 1756. Mais les temps changent et la Révolution approche. En février 1791, il prête, avec réserve, le serment constitutionnel et en novembre 1792, il quitte définitivement sa paroisse.

Pendant la durée de la Révolution, les communes des alentours aux noms trop religieux (dont Sainte Croix et Saint Étienne) sont rebaptisées de façon laïque. Avec l'empire, on revient aux noms précédents, mais « Valfrancesque » est transformée en « Vallée Française ». Ainsi les communes de Sainte Croix et Saint Étienne prennent-elles leur nom définitif de Sainte Croix Vallée Française et Saint Étienne Vallée Française.

L'église, quant à elle, est abandonnée et se dégrade à nouveau. Le 4 novembre 1793, en application d'un décret pris par le citoyen Châteauneuf de Randon, Représentant du peuple, la cloche de l'église est acheminée vers une fonderie à Florac : L'armée française a besoin de canons ... Trois ans plus tard, en 1796, le monument et ses dépendances sont vendus à un particulier comme "Bien National" pour le prix de 990 livres.

♦ Le temple protestant

Pendant un quart de siècle, l'oubli tombe sur Notre Dame de Valfrancesque. Elle est devenue propriété privée à usage agricole. Heureusement, en 1823, soutenu et aidé financièrement par le Consistoire Régional de l’Église Réformée, la communauté protestante locale achète le bâtiment et en fait son lieu de culte. Il est utilisé depuis sous l'appellation de Temple de la Boissonnade, nom du hameau construit près de l'édifice.

Le 9 décembre 1929, cet ensemble architectural très simple de construction mais au style roman très pur et si lourdement chargé de siècles de souvenirs, a été classé "monument historique". Aujourd'hui, le temple de la Boissonnade fait partie du patrimoine de l'Eglise Réformée de la Vallée Française. Il est utilisé assez régulièrement, bien sûr pour y célébrer le culte et les cérémonies religieuses mais aussi pour des expositions et des concerts (le lieu ayant une acoustique particulièrement appréciée des mélomanes).

La commune de Moissac est devenue officiellement "Moissac Vallée Française" depuis le 30 juillet 1961 pour éviter la confusion avec la ville de Moissac située dans le Tarn-et-Garonne.

Les informations reprises dans l'encadré ci-dessus proviennent essentiellement d'un dépliant mis à disposition des visiteurs de la fameuse église devenue temple de la Boissonnade. Elles ont été complétées par quelques (mineures) recherches documentaires personnelles.

L'exhaustivité m'oblige à préciser qu'il existe une autre hypothèse historique sur l'origine du nom de la vallée, selon laquelle cette dernière se serait trouvée, au cours du VIème siècle, dans une enclave franque entourée par des terres wisigothes. Moins romantique ...

Voilà, fin de la digression, pas tout à fait dépourvue d'intérêt toutefois. Qu'en pensez-vous ?

Bon, il faut bien conclure, n'est-ce pas ? J'aurais pourtant bien quelques autres histoires cévenoles à vous raconter, dont celle de Victor (de son vrai nom Miguel Arcas), qui m'a été révélée par le Père Castor (bien connu des petits). Une belle histoire qui m'a beaucoup ému, et qui prouve bien, si cela était nécessaire (mais malheureusement ça ne l'est que trop), que l'étranger qui vient s'installer dans notre pays n'est pas forcément un ennemi ou un parasite, mais qu'il est bien un frère, de misère trop souvent.

Car le Père Castor – mais ne le répétez à personne – vit dans la Vallée Française ! Là, je vois déjà certains esprits chagrins prêts à s'insurger : "Mais le Père Castor ne raconte des histoires qu'aux petits enfants ! ". Ce n'est pas faux, en vérité, mais c'est sans doute que malgré l'age … mûr (et non pas blet) du web-mestre de ce site, ce dernier a dû conserver un peu une âme d'enfant ... Et le Père Castor a aussi dans son sac à malice des histoires pour les "un peu plus grands".

Bon, allez, je vous l'offre sur le lien suivant, l'histoire de Victor.

Ah, au fait, le Père Castor, il dit aussi que surtout, surtout, en ces temps ... difficiles, il ne faut rien lâcher !

Père Castor, raconte nous une histoire,
Même deux histoires
Père Castor, mets tes lunettes et lis nous tout !

Père Castor, raconte nous une histoire
Père Castor, raconte nous deux histoires
Père Castor, Père Castor, mets tes lunettes et lis nous tout

Lis nous, dis
Oui l'histoire encore, pour petits
Grands et moyens castors
...

Si la lecture de cet article vous a fait réagir, que ce soit en bien ou en mal, laissez un petit commentaire SVP ! Rien n'est pire que l'indifférence ...

A bientôt !